Scènes cocasses...! en mer...
Il y a parfois des situations assez cocasses… Comment suis-je arrivé à me retrouver avec mes jambes en quasi grand écart entre le balcon avant de mon voilier et le cockpit du bateau de mes amis sur Ibildun, un peu « pompette » il faut bien l’avouer, le tout en plein milieu de la mer des Philippines avec 3000m de fond entre les jambes… ?!
Je ne suis pas Breton ni même né sur un voilier, et je n’ai jamais eu aucune éducation de la voile. Autant dire que les traditions marines, les proverbes liés à la mer et les superstitions des navigateurs… connais pas. J’appareille donc les vendredi, mange du lapin à bord, ne baptise pas mes bateaux, et ne sait même pas que la tradition veut qu’une offrande soit faite à la mer au passage de l’équateur. Verser un peu de pastis à la mer pour une tradition bretonne, imaginez ce que cela peut représenter comme sacrilège pour un provençal ! Mais bon, le pastis a coulé, et pas le voilier, c'est bien là l'essentiel ! C’est donc par VHF et par mes amis d’Ibildun, qu’a commencé mon initiation aux traditions marines. Pour ce passage de l’équateur, la mer est belle, le vent très léger, nos embarcations se suivent à une vitesse de 3 ou 4 nœuds, tout va bien. Si bien, que nous prenons la décision de nous retrouver tous ensemble autour d’une même table pour fêter le passage de l'équateur. A peine l’idée fut elle lancée qu’une corde me fut proposée. Je la récupérai à la surface de l’eau, la frappai au taquet et attendit qu’à coup de tour de winch mes amis parvinrent à rapprocher suffisamment près nos deux embarcations. Une manœuvre parfaitement exécutée qui me propulsa avec facilité dans le cockpit d’Ibildun depuis lequel je pouvais alors observer mon propre navire en situation de remorquage, et sans personne à bord… Curieux sentiment, je l’avoue !
La suite de cette navigation fut plutôt tranquille, cadencée par les tâches ménagères du bord, quelques réparations sur un frigo capricieux, un peu de lecture, et une multitude d’essais sur une ligne de traine qui pour la première fois depuis le début de mon voyage me laissait totalement bredouille. Et puis, à quatre jours des côtes Philippines, un peu de distraction me fut procurée par Ibildun. Mes amis sont des fumeurs, et plus précisément de gros fumeurs. Et une panne de cigarettes, en mer, à 4 jours de l’arrivée peut se révéler déclencheur de troubles à bord. Au point qu’en plein après-midi, je fus soudain sorti de ma sieste par une voix au fort accent méridionale émettant sur le canal 16 de ma VHF dans une langue avec laquelle l’interlocuteur n’était de toute évidence pas familier. Cet appel donnait à quelque chose près : - « Saillelingboat, Saillelingboat, Saillelingboat, for bi-gue shi-pe for bi-gue shi-pe, I have a probleme, I don’t have cigarettesss. Do you have some for me… » A prononcer évidemment avec un fort accent du sud de la France, vous l’aurez compris !
Voici donc, mes amis émettant des appels VHF à tous les porte-conteneurs, pétroliers et autres cargos à des fins d’y obtenir quelques clopes. Situation cocasse 2 ! Il faut savoir que les temps ont changé. Les Moitessiers, Antoine, ou Slocum que nous avons tous lus les yeux brillants de rêves et de voyages ont connu une époque définitivement révolue. En ce temps là, les cargos se déroutaient d’eux-mêmes pour saluer un voilier isolé ou lui proposer un peu de réconfort moral et matériel. Désormais, la route leur appartient au point qu’il faille être extrêmement vigilant lorsque nos routes se croisent et ne pas compter sur une manœuvre d’évitement de leur part. La plupart ne répondront même pas à l’appel de mes amis. A se demander si quelqu’un veille au poste de barre dans ces énormes bâtiments. Certains répondront, ce qui donnera lieu a des échanges très sympathiques, en anglo-asiatique VS anglo-français, mais trouveront une excuse pour ne pas s’arrêter. Je les comprends. Et puis, il y a eu ce cargo, quasiment sans hublot, une sorte de sous-marin de surface énorme flottant à l’arrêt pour je ne sais quelle raison. Une réponse polie, une plaisanterie, une deuxième, quelques rires, je n’en crois pas mes oreilles, le pilote accepte de lui envoyer des cigarettes ! Mais l’affaire n’est pas gagnée, il faut maintenant qu’un petit voilier de 12m en polyester puisse attraper un petit paquet lancé d’un tas de ferraille de 250m… La décision est prise de jeter le paquet à la mer. Le tout est emballé, jeté, semble flotter, mais par la vague du navire, voici que le sac se perd sous la carène du géant… Tout est perdu… Non, incroyable, le sac ressort dans le sillage du cargo, il flotte, mes amis se ruent vers lui et le récupèrent. C’est avec une clope au bec, qu’ils m’annoncent le miracle accompli. La route peut reprendre son cap après 2 heures de distraction totale vécu à la VHF !
Ma ligne me laisse toujours bredouille. Rien. Quand je repense qu’en Mélanésie mes séances de pêche ne duraient que deux heures tout au plus avant de capturer un poisson suffisamment gros pour une semaine de nourriture. De toute évidence l’Asie approche et comme je le craignais, avec elle, une autre échelle de population… Plus que deux jours, il est six heures du matin, je suis couché à l’intérieur, un peu fatigué par ces séances de 45 à 90 minutes de sommeil. C’est finalement un bruit de moteur d’Harley Davidson qui me sort de la bannette. Où sommes nous ? La terre est pourtant à deux jours… Je me rends dans le cockpit, un coup d’œil à droite puis à gauche, et finalement une pirogue s’approche de moi. A son bord, un philippin lâché sur une minuscule pirogue. Ils sont plusieurs comme cela et pêchent la bonite qu’ils ramèneront au vaisseau mère situé à quelques encablures de là. Deux saluts, deux sourires, aucun mot, le pêcheur disparaît alors au fond se sa pirogue et en ressort avec un petit thon qu’il me lancera avec une précision chirurgicale à l’intérieur de mon cockpit. Situation cocasse 3, ma pêche est faite !
La terre est en vue, nous rentrons par l’Est des Philippines en Asie et trouvons refuge le soir venu au bord de Dapa, une petite ville côtière. La nuit tombe vite, après 11 jours d’inconfort je m’endors enfin au calme. Le jour se lève à peine, je sors impatient d’observer les alentours. Autour de moi, tout est en mouvement. La brume recouvre encore la ville de laquelle seules les toitures des maisons ressortent, le bruit des voitures est perceptible depuis le bateau, les pirogues s’agitent dans tous les sens, je ne comprends pas tout. La Mélanésie est désormais bien loin, je commence un nouveau voyage…