L'ARCHIPEL DES BACUITS
Deux jours et deux nuits de mer, des séances de sommeil de 15 minutes, des slaloms en nocturne au milieu des nombreux bateaux de pêche, le radar en alerte, je m’endors en 10 secondes et me réveille avec une régularité étonnante 2 minutes avant chacune des sonneries de mon réveil, la nuit aura été difficile. Le jour se lève et l’île de Palawan s’illumine à l’étrave d’Aurora. Dernière étape de mon périple Philippin, Palawan est aussi ma dernière opportunité pour considérer avec un peu plus d’optimisme la qualité des fonds sous-marins du pays.
EL NIDO
Quoi de plus captivant que de trouver au milieu d’un décor uniforme une particularité géologique concentrée sur quelques kilomètres? El Nido, petit cocon regroupant quelques milliers d’âmes au cœur de l’archipel des Bacuits, est le point d’entrée d’une formation de roches surprenantes. Rendu célèbre par le programme télévisé «Kola hanta», dont le but, je le rappelle, aura été de mettre les candidats en mode survie à environ 2 kms d’un village bondé de supermarchés et de restaurants, El Nido est devenu une station balnéaire vivant au rythme d’un flux touristique désormais bien établi. Mais en juin, Alléluia, c’est le début de la saison humide. Les cuves se remplissent, les hôtels se vident, et la tranquillité se déverse de nouveau dans les ruelles du village ainsi que dans tous les recoins de l’archipel.
LES GARDIENS DE NIDS D’HIRONDELLES
Des falaises rendues agressives par une roche coupante, ajouté à cela une verticalité leur garantissant un accès quasi impossible, on comprend alors vite que les seuls à pouvoir prétendre accéder régulièrement à ces îles sont nos amis à plumes. Parmi eux, une espèce de «martinets», communément surnommés «hirondelles» (Pourquoi?!), ayant la capacité de sécréter un mucus pour la conception de leurs nids. La particularité de ce mucus est d’afficher le prix de 200 000php/kg (=3300€/kg) sur les marchés des cuisines traditionnelles chinoises. A ce prix là, on comprendra bien vite que les propriétaires de concessions n’hésitent pas à s’offrir le luxe de «gardiens de nids» royalement rémunérés 80 à 100€ mensuel. Ces gardiens sont chargés de rester jours et nuits aux abords de la concession et de prévenir en cas de visites indésirables. Un matelas dans le creux d’une roche, une cabane sur une des rares plages, ou bien de vraies petites maisons étonnamment fixées sur les parois des falaises, leurs lieux de vie paraissent surréalistes. Ramon et Aton, agés de 15 et 17 ans, doivent rester 60 jours dans une cabane fixée à 10m en aplomb au dessus la mer. Une corde pour accéder jusqu’à la terrasse, une autre pour hisser la pirogue, une paillasse au sol en guise de lit, la photo de miss bière 2009 affichée à des murs tressés et bientôt pourris, un recoin de roche pour isoler un demi fût servant de cuisine, voilà la maison de ces 2 jeunes gardiens bien contents d’avoir un travail. Ils habitent le petit village de Coron-coron situé à 3h de rame où l’un des deux se rend de temps à autre pour y chercher eau et nourriture. La pêche, les cigarettes et la musculation forcée, sont les principales distractions sur cette terrasse à la vue imprenable. Activité suprême aujourd’hui, la visite d’Aurora. Le thé est servi, le paquets de biscuits se consume à grande vitesse, et leur yeux me laissent deviner comment ont pu briller les miens lorsque à mon tour j’ai visité leur habitation si particulière. Une rencontre, de courts échanges, tout le monde se sépare, tout le monde est heureux, facile et suffisant.
MER ET FALAISES
Deux cents mètres de falaise saillante à gauche, deux cents mètres de falaise saillante à droite, trente cinq mètres d’hauteur d’eau sous la carène, un bleu intense, le mouillage dans le couloir entre Tapiutan Island et Matinloc donne l’envie de grimper dans le mât, et en s’adressant à Dame Nature de crier «Merci Madaaame...!!». La chose étant faite, une vadrouille en kayak pour découvrir ce lieu, où je semble représenter le seul individu de mon espèce à cette heure bien matinale, s’impose tout naturellement. Le silence est prenant, les falaises aspirent au respect et les couleurs à l’émerveillement. Sur les parois, la végétation se bat pour introduire ses racines dans une roche que l’on aurait du mal à briser avec une masse. Ici tout est piquant: la pierre, le feuillage de la végétation, et les moustiques! Quelques plages se découvrent au détour d’une roche apportant un peu de douceur et un accès à terre à ces lieux idylliques. L’eau est cristalline, les chasseurs de l’aurore fouettent la surface dans leurs courses aux alvins. Bleus et gris dominent la tonalité des lieux. Je me sens bien. Comble du comble, en cet endroit où je me sens si seul, Internet s’est invité à bord et me permet de faire de ce lieu, le plus beau bureau d’affaires au monde.
UN TOURISME SALVATEUR
Alors, signé d’un «K» qui veut dire Kolahanta, une émission de grande audience, (malheureusement) est arrivée. Du même coup des millions de personnes, la plupart européennes et surtout françaises, ont fait connaissance avec ce lieu superbe. La fréquentation touristique a alors explosé, les pirogues de pêcheurs se sont aménagées en pirogues de transport public, et pour occuper tout ce beau monde, quelques clubs de plongée se sont créés sans pour autant disposer de réelles beautés à faire visiter. Du même coup, comprenant que le poisson en vitrine rapporte davantage que le poisson séché salé, les zones protégées sont apparues et continuent à se développer. Des gardiens ont été placés aux quatre coins de l’archipel, des blocs de porcelaine ont été posés sur les fonds pour mieux retenir le corail, et dans certains endroits bien délimités, la vie sous-marine reprend son activité normale. La recette fonctionne. La question n’est donc pas de savoir si on peut ou pas redonner vie à la planète, la question est comme toujours de savoir si cela rapportera suffisamment de le faire. Et oui, la protection de l’environnement est devenue, au même titre que les transports, la communication ou le tourisme, un produit de consommation que l’on exploite lorsqu’il est jugé rentable. Mais l’essentiel est là, sur quelques centaines de mètres carrés, le paysage sous-marin est redevenu correct.
D’un point de vue subaquatique, cette escale n’aura donc pas apportée la répartie au discours pessimiste qui se tissait dans ma tête depuis mon arrivée dans le pays. Mais si l’on oublie ce paramètre qui me tient peut-être un peu trop à cœur, il restera pour valeur sûre, que l’archipel des Bacuits est tout simplement un des plus beaux endroits que j’ai eu la chance de visiter. Le soleil se couche, le ciel rougit, une pirogue joue aux ombres chinoises, demain il faudra repartir...