En 1993 j’ai eu la chance de décrocher un poste en Côte d’Ivoire. J’étais fonctionnaire depuis trois ans, prof d’économie, et j’avais postulé pour partir à l’étranger. A cette époque ma passion était la montagne, tous mes efforts, mes économies, étaient tournés vers l’Amérique du sud. Pourtant quand le ministère m’a téléphoné et donné 24h pour accepter ou refuser un poste en Côte d’Ivoire j’ai refusé immédiatement le délai et accepté le poste.
Quelques semaines plus tard je débarquais à Abidjan pour découvrir l’Afrique de l’ouest. La Côte d’Ivoire venait tour á tour de subir deux événements importants pour son histoire, la mort de son leader historique, père de l’indépendance qui avait su faire avancer son pays, Félix Houphouët-Boigny et la dévaluation de sa monnaie, commune à 14 anciennes colonies Françaises, le Francs CFA.
Une arrivée mouvementée
L’arrivée à l’aéroport d’Abidjan était folklorique, précipité dehors, entouré d’une foule dont j’étais subitement le centre d’intérêt et dont chaque élément souhaitait me faire monter dans son taxi. J’en ai choisi un au hasard, sans même négocier quoi que se soit, pensant instinctivement, et á juste titre, me libérer des autres. Il a du me faire payer le prix fort, je ne m’en souviens plus, normal, c’est la règle du jeu.
Au petit matin un second taxi m’amenait vers le lycée Français, de l’autre côté de la ville. C’est là, dans cette vieille voiture Japonaise qui avait déjà vécu plusieurs vies, qu’après une nuit difficile, je me suis découvert une passion pour l’Afrique qui ne m’a plus jamais quittée. Les boulevards étaient immenses, il y régnait une formidable cacophonie, un adorable désordre, sur les voies comme sur les trottoirs. Une Mama (dame africaine d’un certain âge et d’une certaine corpulence) dans son pagne coloré, chargée d’une bassine de bananes sur sa tête à défiler devant ma vitre. C’est ça, l’image qui m’a fait aimer l’Afrique, soudainement, comme par surprise.
Plus loin on traversait un pond surplombant une lagune beaucoup plus grande que ce que je soupçonnais. En face de nous le quartier des affaires avec ses tours, le quartier de la Défense Ivoirien. Encore plus loin, le lycée Français, j’allais y enseigner pendant six ans.
Akwaba, me salue le portier à l’entrée, bienvenue. Je me sentais déjà chez moi alors que j’écoutais d’une oreille distraite les conseils que ma future patronne se croyait obligée de me prodiguer. « Vous verrez au début c’est un peu difficile, il faut prendre ses marques, mais après on aime ce pays et cette vie ». J’aimais déjà, d’un amour qui ne s’est jamais démenti, même quelques années plus tard quand il y a eut des moments plus noirs. Elle faisait son travail et le faisait bien mais quand elle disait désorganisation j’entendais ambiance, quand elle parlait de danger j’entendais liberté.
La vie s’organise rapidement
La vie de fonctionnaire Français était royale. Le salaire élevé rendait le quotidien facile, il permettait de se dégager de toutes les contraintes pour se consacrer à son travail et à ses loisirs. Il était de coutume d’avoir des employés, chose psychologiquement difficile au début quand on a l’habitude de s’assumer seul. On s’y refuse d’abord mais des personnes sont en général déjà attachées à la maison que l’on trouve. L’ancien locataire a appris à les aimer et ne veut pas les laisser sans rien. Il vous oblige gentiment à les garder. J’avais donc un gardien Burkinabé et un cuisinier Béninois. Des gens fantastiques que j’ai quittés 6 ans plus tard avec un énorme pincement au cœur.
Malheureusement il n'y a pas que la photo qui a vieillie !
La semaine nous sortions beaucoup. Oh, pas des grandes sorties, on se retrouvait pour aller manger dans un petit restaurant. Les prix étaient dérisoires et le choix illimité, Restaurants Africains que l’on appelait « maquis » ou le poulet braisé était rythmé par la musique Zaïroise, des restaurants Libanais très présents depuis longtemps en Afrique de l’ouest, des Français, Italiens, Ethiopiens ….
Notre petit groupe d’amis était multiculturel également, Ivoiriens, français, Belges, Libanais … la plupart étaient nés en Côte d’Ivoire et y avaient les souvenirs d’une enfance heureuse. Ils paraient ce langage propre à Abidjan, mélange de langues locales, de Français et de je ne sais quoi qui était et est toujours un lien entre les anciens d’Abidjan qui se croisent par hasard dans le monde.J’ai passé six ans à Abidjan, six ans si courts pour découvrir les 70 ethnies qui composent le pays, pour découvrir les autres pays de la sous région. Six ans de rencontres incroyables, de voyages fabuleux, d’anecdotes inoubliables, d’amis qui le sont toujours aujourd’hui. Six ans d’une leçon qui a marquée ma vie à tout jamais, celle de gens pauvres mais heureux, tolérants et courageux devant l’adversité.
La politique, après de grands efforts, a réussie à tout gâter comme on dit là bas. La fin de mon séjour s’est faite au son des impacts, lointains et moins lointains, des tirs de Kalachnikovs. Mon contrat finissait, je suis parti avec la partie heureuse.
Quelques années plus tard, j’arrivais en Espagne. J’étais inscrit dans des cours pour apprendre la langue et la prof nous a demandé d’écrire un petit article sur une chose que l’on avait aimé. J’ai écris sur la Côte d’Ivoire qui vivait encore des moments difficiles l’article ci-dessous. Je demande l’indulgence des hispanos parlant, c’était mes tout débuts dans cette langue.
Quelques rencontres m’ont marquées. Si ma mémoire accepte j'en évoquerais certaines dans des articles à venir, des rencontres avec l'Afrique.