Rencontres avec l'Afrique : Les Touareg d'Agadez


Le Niger

C´était à Agadez, dans le nord du Niger. Le Sahara. Nous étions partis d’Abidjan en moto et avions dans l’idée de traverser le désert du Ténéré pour rentrer en Libye par le sud et rejoindre l’Europe. Depuis deux jours nous étions bloqués à Agadez attendant une autorisation. La période était tendue, le Paris Dakar venait d’annuler sa traversée du Ténéré pour des raisons de sécurité, l’économie s’en ressentait.

En été, les après midi sont très chauds dans ce coin. On savait que les prochains jours seraient durs physiquement, on profitait de ce week end forcé pour se reposer. Mon ami faisait la sieste à l’ombre d’un acacia, je cherchais des informations assis sur le sol poussiéreux, à l’ombre de la mosquée. Construite en banco (terre séchée), elle passe pour être la plus haute du Sahara avec son minaret de 27m. J’en avais déduis que c’était aussi la plus grande ombre du Sahara.

L’ombre était rare et jalousée à cette heure. Un monsieur, petit, mince presque maigre était assis à mes côtés. Aussi poussiéreux et fatigué que moi, la vie est dure dans le désert. Dépourvu de leurs attributs, les Touareg sont des gens comme les autres, oubliez, s’il vous plait, la légende du guerrier sur son chameau, avec son turban bleu tout frais lavé et son épée étincelante.

* * * * *

Comme tous les Touaregs d’Agadez, il s’est présenté comme un ami de Mano Dayak. Pour avoir passé du temps au Mali entre Tombouctou et Gao l’année d’avant, je m’étais intéressé au problème Touareg. Mano Dayak était devenu un leader dans les années 80 puis une légende dans les années 90 avec la rébellion et sa mort.

Ça à pris du temps, mais j'en avais cette après midi là, par brides Michel m’a raconté sa vie. Remise dans l’ordre chronologique, je lui laisse la parole :

«Je suis né dans les montagnes de l’Aïr, au nord d’Agadez, en bordure du désert du Ténéré vers 1950. De ma jeunesse au village je me souviens de mon père qui m’enseignait les pistes oubliées, les histoires du passé, les traces des antilopes blanches dans les dunes, les montagnes sacrés et les caravanes de sel. Des histoires qui passaient de génération en génération, le soir autour du feu, ce que vous, les Français, appelez la tradition orale. Comme la majorité de ses amis mon père n’avait qu’une femme, ma mère. Elle veillait sur le foyer avec la tendresse d’une mère poule et la férocité d’une lionne. Jamais un voyageur de passage ne manquait d’eau ou de dattes, en échange des nouvelles de la piste. On appelait notre région les jardins de l’Aïr, nous étions riches … nous avions de l’eau.

C’était une enfance heureuse, j’allais plus souvent surveiller les troupeaux qu’à l’école. Il fallait bien aider et ce travail était partagé avec mon frère. Mon père n’était pas allé à l’école, son père disait que c’était l’école des blancs, les colonisateurs. Tous pensaient comme lui, cela nous a joué des tours au moment de l’indépendance. Le pouvoir nous a été confisqué par les ethnies noires du sud qui, ironie du sort, avaient moins résistée au colonisateur et s’étaient formées dans son école.

J’étais un Targui, singulier du mot Touareg, mais entre nous on s’appelait les Kel Aïr, les gens de l’Aïr. On était fier de ce sentiment d’appartenance. On était aussi des Kel Tamasheq, les gens qui parlent Tamasheq, la langue commune des Touareg. Notre alphabet est original, le Tifinagh, que l’on retrouve sur certains sites rupestres prouvant la présence millénaire de mon peuple sur ce territoire.

J’avais une dizaine d’année quand mon père m’expliqua que les temps allaient changer. Les colonisateurs partaient mais notre peuple serait divisé entre plusieurs pays. Nous, ceux de l’Aïr, nous serions du Niger, la plupart de nos cousins seraient au Mali, d’autres en Algérie, en Libye, en Haute volta (qui deviendra le Burkina Faso). Pour nous être Malien ou Nigérien ne nous parlait pas tellement, on se était Touareg, on vivait libre sur notre territoire.

Dans les années suivantes on entendit des histoires de massacres de Touareg par les Djerma au Mali voisin. Les Touareg devaient se réfugier en Algérie ou en Libye. On évitait d’aller en ville mais dans nos montagnes tout allait bien, protégé du monde extérieur. Ce qui changeait ceux sont les voyageurs, de passage dans nos montagnes, ils étaient en fuite et armés. Instinctivement on savait qu’il fallait les aider. Figée dans mon inconscience ma vie suivait son cours.

Début des années 70, poussé par la sécheresse décimant nos troupeaux mon père est parti à la recherche d’un meilleur endroit pour vivre. Il a disparu, on n’a jamais plus eu de nouvelles. Je l’ai cherché longtemps quand j’en ai eu les moyens, dans les années 80, sans succès. Aurait-il cédé aux sirènes de la violence ? Ou emporté malgré lui dans quelques faits d’armes, aura-t-il était tué dans une escarmouche ? C’est à ça que je veux croire.

J’ai du partir à mon tour. J’étais effrayé, malheureux de quitter ma mère mais aussi excité à l’idée de découvrir d’autres lieux, d’autres gens. Je suis d’abord allé chercher du travail à Agadez. C’était difficile sans formation. Je vivais dans la famille d’un cousin de ma mère, les relations n’étaient pas toujours faciles. Plus tard, j’ai tenté ma chance à Arlit, une ville à 6 jours de marche d’Agadez. La France y exploitait des mines d’Uranium et on disait qu’il y avait du travail pour tous. J’avais rencontré une jeune fille à Agadez, j’avais besoin d’argent pour la demander.

Les conditions de travail étaient dures à Arlit. J’avais été affecté dans une mine, sous terre. Nous descendions le matin pour remonter le soir. Nous ne voyions jamais la lumière du jour, nous, habitués au paysages infinis du Ténéré et au brûlant soleil du désert. Encore pire était le bruit du forage, c’était insupportable. Des rumeurs circulaient sur le danger de l’uranium, on ne savait rien, on travaillait sans masque, sans gants, parfois avec nos propres habits. Le temps était long en bas. J’évitais de sortir mon jour de congé hebdomadaire pour ne pas dépenser mon salaire.

Au fil du temps j’ai pu économiser un peu, rentrer à Agadez et retrouver ma future épouse. Les Touareg avons beaucoup de respect pour nos femmes, bien que se soit possible peu d’entre nous sont polygames. Nous avons fait une petite fête, nous étions déjà « vieux » pour un mariage. Puis nous sommes partis dans l’Aïr.

Je n’avais pas vu ma mère depuis presque 10 ans, je me faisais une fête de lui présenter la mère de mes futurs enfants, de lui amener des cadeaux, elle qui avait tant souffert pour nous. Je l’ai trouvée sur son lit de mort, comme si elle m’attendait, juste le temps de se mettre à jour. Après l’enterrement nous avons essayé de nous installer mais la sécheresse au début des années 80 était terrible et ruinât tous nos efforts. Economies épuisées, il fallait repartir.

Où aller ... ?

* * * * *

Force est de constater qu'il est moins rapide et plus fatiguant de se souvenir et d'écrire que d'écouter une histoire au pied d'une mosquée si haute soit-elle. Les aventures, ou du moins la vie, de Michel ne s'arrête pas là mais ma mémoire exige un peu de repos avant de poursuivre.

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