Retour en Côte d'Ivoire
Juste, du faux prénom dont je viens de le baptiser, était notre ami. Un peu musicien, un peu jardinier, mécanicien à ces heures, baratineur, sympathique et débrouillard. Juste avait 35 ans environ, il vivait en Côte d’Ivoire, son pays d’origine, au début des années 90. Comme beaucoup c’était un rêveur qui traversait la vie avec humour et espoir.
Abidjan dans ces années là bouillonnait d’énergie. La capitale économique était aussi culturelle, la musique y occupait une place importante, les rythmes nous arrivaient de l’Afrique centrale mais les locaux cherchaient leur style. Comme beaucoup d’autres, Juste composait un peu, jouait à l’occasion. De petits groupes en tentatives solo, payant à peine la nourriture, un peu d’alcool et de tabac, Juste rêvait chaque jour d’une carrière à la Alpha Blondy, l’icône historique de la musique Ivoirienne.
Certains ont percés, à l’image de Magic system ou Tiken Jah Fakoly, Juste n’avait pas eu cette chance mais faisait son maximum. Comme beaucoup les événements de 1999 l’ont pris par surprise, bousculés son rêve et compliqués une vie déjà difficile.
Ce n’est pas cette période de la vie de Juste la plus intéressante, c’est le début de sa vie d’adulte. Pour comprendre son histoire il faut faire un petit retour en arrière, au temps de son enfance.
Là où née une envie d’ailleurs
Chaque année Juste attendait la rentrée des classes avec impatience. Il aimait l’école, il était curieux et intelligent, il avait des amis. L’éducation nationale en ce temps là dépendait des dates de la récolte de cacao. Le paiement des ouvriers qui leur permettait d’acheter le cahier, le stylo et l’uniforme nécessaire à la rentrée scolaire. Si la récolte se décalait, la rentrée était repoussée.
Juste avait un ami, Aboubakar, dont le père était parti travailler en France. Aboubakar avait toujours les plus beaux baskets et équipements scolaires de la classe. Il portait des habits que son père lui ramenait lors de ces visites, tout les deux ou trois ans, habits introuvables sur place. Juste parlait beaucoup avec Aboubakar de la vie de son père, médecin Parisien possédant une belle voiture et une grande maison. Il ferait venir sa famille à Paris aussitôt que possible. Pourtant Aboubakar était toujours là, années après années, à la satisfaction un peu égoïste de Juste qui ne voulait pas voir partir son ami. Cet été là le père prodige devait lui rendre visite.
Il est arrivé, au volant d’une Mercédès achetée d’occasion à Abidjan. « Quel pays ! » dans lequel il n’avait pu trouver le dernier modèle déjà sorti en France depuis au moins deux ans. Il était vêtu d’un costume sombre peu pratique compte tenu de la chaleur, de la poussière et de la climatisation fatiguée de son véhicule. Il transpirait abondamment, sacrifice indispensable à son statut de médecin Français. Il n’a passé que quelques jours au village, ses responsabilités l’ont rappelé. Quelques jours dépensant ce qui semblait des fortunes, présumant de sa vie en France.
Juste passait ses journées chez son ami, rêvait de Paris, les jolies femmes dans leurs robes de soirée, l’argent facile, les voitures et les beaux habits. Buvant les paroles comme assoiffé de rêve. Ces quelques jours ont changés sa vie, le docteur à peine reparti, Juste faisait ses plans de départ.
A l’inverse de Juste, vous l’aurez compris, le docteur n’était pas docteur. Il vivait probablement chichement dans une banlieue Parisienne, partageant un appartement minuscule avec 4 ou 5 autres. Il travaillait durement, payé au Smic, peut être mal traité par son patron. Il se privait pour revenir chaque deux ou trois an la tête haute au pays, montrant une réussite feinte. Il ne se rendait probablement pas compte qu’il donnait, pour préserver son honneur, de grandes illusions à des jeunes. Illusions qui allaient avoir des conséquences importantes dans de nombreuses vies.
Juste est parti quelques temps plus tard et on verra dans le prochain article que cela n’a pas été facile. Il a changé sa vie au village contre une vie d’aventurier. Une tranche de vie d’une dizaine d’années, une vie pour un rêve.
L’histoire est entièrement conforme à ce que Juste m’a raconté au cours des années passées ensemble à Abidjan. J’ai changé son nom et la photo est celle d’un autre ami du même âge, faite à cette même époque. Il aurait pu être un autre Juste cet ami, mais à choisi un autre parcours. Il a fait sa vie en Côte d’Ivoire, survécu aux mauvaises années. J’ai perdu la trace de Juste dans les années de guerre, regardant souvent, encore aujourd’hui, les artistes Ivoiriens au cas où je le verrais apparaître un jour. J’espère qu’il aura lui aussi passé les années noires et qu’il a trouvé son chemin dans sa vie.