LE DOSSIER VALMY (Thriller) : chapitre 5


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Chapitre 5 • Convoitises


A l’aube du troisième jour, nous voilà donc de nouveau tous réunis dans le bocal. L’avocat d’Alex reste imperturbable et c’est d’ailleurs la seule posture qu’il peut adopter. Des deux premiers jours, il a compris que sa mission allait être compliquée sinon impossible. Il est même probable qu’il ait compris que son interrogatoire est contreproductif, mais que pire, il va s’en prendre une au procès avec un ovni comme moi. Mais, comme il n’a pas fini d’explorer le champ du possible, il tourne fébrilement les pages de questions sur l’aspect historique. Et pour je raconte l’histoire. La veille nous en étions restés au contrat signé, à l’euphorie de mes actionnaires et des chimistes, alors logiquement, il veut savoir ce que j’ai fait du fric.

En fait, les tests réussis et le million d’euros en poche, il s’agit de nous structurer. J’ai longuement réfléchi au futur de la société. Si depuis le début je m’escrime à vouloir fabriquer des produits pour les vendre après, je sais bien que l’on va se heurter aux majors comme Saint-Gobain avec leurs laines de verres et de roches ou de l’autre côté BAYER et BASF pour les plaques en polyuréthane. Autant dire que la guerre sera âpre malgré nos tests qui viennent de les exploser. J’ai beau avoir une bombe dans les mains, du point de vue financier, je ne suis qu’une bombinette sur le marché. La vente de la licence canadienne me laisse à penser qu’il serait plus simple de rester un fournisseur de solutions techniques à très hautes valeurs ajoutées et vendre des licences dérivées de nos technologies. C’est moins casse gueule et beaucoup plus rentable. On verra la grande distribution après. Surtout, cela permettra de rentrer des sous et des sous, il va bien en falloir car le million ne sera pas éternel.

Pour cela, il faut un laboratoire pour que mes chimistes puissent continuer de travailler. Une plateforme qui permette de développer les licences et les ventes. Le laboratoire doit avoir deux parties : l’une pour fabriquer et optimiser les résines qui sont la matière première et un autre plus industrielle pour faire les mélanges, les formulations et même un espace pour mettre au point les machines pour les futurs clients. Il faut de la place en clair! Amiens serait idéal pour cela, situé à mi distance de tout le monde. Et je prends contact avec la Chambre de Commerce qui ne cache pas sa joie de voir arriver un fleuron dans le paysage. Cela les changera un peu des industries finissantes et leurs conflits sociaux type Goodyear.

La ville est donc ravie d’accueillir notre équipe et nous trouve des locaux très modernes. En 2004, les locaux ont déjà la fibre numérique et surtout deux plateaux comme on l’espérait avec un espace bureau qui permet d’accueillir tout le monde. La région n’est pas en reste et finance 200 mille euros de matériel technique. En deux mois, la société VALMY compte 700m2 de labos flambant neuf, 4 salariés et même une secrétaire.

Dans le contrat canadien, il est prévu que Mathieu soit formé par nos soins puis s’envole à la fin du premier trimestre 2005 vers le Québec pour gérer la structure, la distribution et les ventes. C’est d’ailleurs ce qui va se passer pour la première partie. Mathieu est à toutes les sauces, il vit parmi nous pour ainsi dire. Un truc aurait dû m’interpeler à l’époque. Sa nana est enceinte…

Et justement l’avocat d’Alex veut comprendre pourquoi cela ne s’est pas passé comme prévu. Alex commence à suer car il connait la vérité. Il sait que je vais encore l’assassiner en live. Et bien entendu, je vais répondre, de façon posée, laconique au début de mes phrases, ironique dans la ponctuation. L’avocat voit bien qu’il fait fausse route encore.

  • Mathieu? Ah bah c’est bien simple. Il est devenu Papa en février et si tout le monde était au courant, l’enfant était prématuré donc indéplaçable. Et donc il n’était plus prévu qu’il parte au Québec. J’avoue, Maître, qu’à cette époque, nous aurions déjà dû le signaler à votre client car il s’agissait d’une première inexécution. D’ailleurs, votre client n’a jamais envisagé de mettre quelqu’un, enfin, on n’en a jamais entendu parler.

Alex se lève de son siège, il est rouge :

  • Je vais pas mettre un mec alors qu’il n’y a pas de technologies.

Et forcément mon avocat le remet à sa place en lui demandant de se taire et avec une attitude narquoise :

  • Confrère, vous est-il possible de maîtriser votre client ou alors je vais demander à ce qu’il sorte définitivement?

Dans la réalité pour ce qui est de Mathieu, je m’en fous complètement. Denis et moi même savons pertinemment que Mathieu est un incompétent complet. Il n’est pas bête mais il n’est pas fait pour travailler. Pavaner serait plutôt son truc. Le papa en est parfaitement conscient et je suppose qu’il espérait secrètement qu’on allait le driver. Sauf que Valmy est tout sauf une crèche.

Dans la réalité aussi, Alex essaye tant bien que mal de nous montrer qu’il va réussir le contrat. Il a des tonnes de rendez-vous et il m’emmène deux fois au Québec dans ses bagages pour faire l’article du produit. Là il faudra bien admettre que les voyages avec Alex, c’est première classe, hôtel de luxe avec suite et tour complet des restaurants hauts de gamme de la ville. Et limousine avec chauffeur bien entendu. Ce qui n’est pas désagréable quand c’est full inclusive.

Et les deux fois, je visite plusieurs entreprises cibles. Les deux fois, il les a péchés sur une recherche internet depuis la France ou encore que son avocat connaissait. Les réseaux annoncés ne sont pas franchement au rendez-vous. Quand je tends les captures écran des recherche à son avocat, celui-ci encaisse le coup. Il ne lui reste qu’une porte de sortie : démontrer qu’il n’y a pas de technologies et il sait d’entrée de jeu qu’aller sur un terrain technique face à moi, cela va être compliqué.

Si nous ne nous préoccupons pas trop du canada à cette époque, c’est que nos technologies commencent à connaître un petit succès et les perspectives commerciales sont positives. Le groupe a été approché par la Lyonnaise des Eaux pour le remplissage des caniveaux de la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain (CPCU).

Et pendant que tout le monde s’affaire à Amiens à mettre en place la production des matières premières pour le Québec et bien que le Québec ne soit qu’une boite postale, je développe l’affaire CPCU. Dix ans qu’ils cherchent un produit qui résiste à 250° pour éviter les arrivées d’eau en cas de crue sur Paris et que leur tuyaux n’explose en pleine ville, la paralysant complètement. Je les ai donc invités à Amiens pour voir le produit qu’ils cherchaient.

Dans le laboratoire, nous leur montrons la machine mise au point spécialement pour ce projet. Le produit rose coule du tuyau, rapidement il gonfle et entoure le tuyau. En quelques minutes, il est sec et dur. Les clients sont bluffés.

L’idée est simple : VALMY vend les produits en bidon et les machines et les sous-traitants de CPCU, dûment formés par nos soins, les mettent en oeuvre en plein Paris. Le client veut faire un essai en réel.

Essai ou pas, mon côté commercial prend le dessus et je leur annonce nos conditions sous réserve d’un engagement de volume. CPCU, c’est 200 tonnes par an d’un produit qui coûte un euro et que l’on revend à 20. C’est 4 millions de profits garantis par an et sans concurrence. En plus du contrat canadien. Et vus les enjeux, CPCU ne discute même pas le prix.

Bien évidemment, notre conseil d’administration considère comme prioritaire cette belle perspective et les équipes sont mobilisées pour les premiers essais. C’est encore plus prometteur que les plaques et le marché de l’isolation en terme de marge. Ce point n’a pas échappé à Alex qui demande déjà une extension de licence. Ce produit là aussi, il le veut. Il ne s’en cache pas. Il m’envoie des mails à ce sujet. Il s’informe. Et forcément, je tends les preuves à son avocat qui pourtant ne se démonte toujours pas.

Dans le fond, Denis et moi même restons un peu circonspect sur cette demande nouvelle d’Alex. D’abord, la société canadienne n’avance pas aussi vite que prévu. C’est toujours une boîte postale hébergée chez leur avocat. Et nous n’avons toujours pas vu les fameux réseaux de distribution qui devaient déclencher les ventes.

Leur avocat m’interrompt dans mon exposé :

  • Monsieur Le Roy, pensez-vous que l’on puisse vendre des produits sans production?

Et pan! Il vient de se tirer une nouvelle balle dans le pied.

  • Maître, je partage votre avis, mais je ne peux être tenu responsable des turpitudes de votre client. On devait lui livrer une machine. Elle était prête mais où la livrer? Votre client n’a pas de locaux et pas le moindre salarié. La boite canadienne, c’est juste une boite postale au 46ème étage d’une tour, dans vos bureaux précisément! Et alors figurez-vous que le plus drôle, c’est que la machine ne rentre pas dans votre ascenseur.

Même la greffière explose de rire. Alex vient de se réveiller à nouveau. Il fulmine. Son avocat est en train de l’assassiner en live. Il demande une interruption pour lui parler. La stagiaire n’en mène pas large car c’est elle qui a préparé les questions.

Mon avocat acquiesce et nos adversaires s’isolent pour faire le point. J’en profite pour aller fumer une cigarette dans la rue. Il me rejoint et modère mon enthousiasme:

  • cet interrogatoire est le leur. Si il leur est défavorable, ils ne le communiqueront pas et on ne pourra pas s’en servir. C’est dommage, tu es parfait et tu es en train de faire le procès à toi tout seul.

Ce serait dommage car j’en ai encore à raconter. Mais je comprends la situation. Sitôt le mégot écrasé, nous retournons dans le bocal. Mes contradicteurs sont de nouveau installés, plus tendus qu’avant. leur avocat ne lâche pas pour autant. Il tourne des pages et des pages de questions et puis se lance :

  • Monsieur Le Roy, pouvez-vous nous expliquer les échecs CPCU?

Et pan! Il vient de se tirer une balle à nouveau. Mais ni lui ni Alex ne l’ont compris. Je le vois bien venir avec ses grands sabots: me faire dire que toutes les technologies ont échoué. Et que donc son client n’y est pour rien.

  • Maître, CPCU c’était un projet chez VALMY. Un projet de plus parmi tant d’autres mais très prometteur. Votre client n’a pas acheté ces technologies. Pas plus qu’il n’a commencé à développer ce qu’il avait acheté ni tenu ses promesses. CPCU, c’est hors contrat.

Et pourtant au fond de moi je sais que c’est ce putain de projet qui a tout précipité et provoqué la guerre. Mais au début de l’année 2005, je n’ai pas vu le coup venir. En France CPCU est une anomalie. C’est la seule ville pour ainsi dire qui soit équipé d’un réseau de distribution de chauffage souterrain. Même les parisiens l’ignorent. Au Canada, à New York ou à Moscou aussi, c’est le chauffage de base. Alex l’a bien compris. Si CPCU est juteux pour nous, le gros du marché est sur le continent nord américain. Et ma façon d’emballer le produit est tellement simple qu’il n’y a juste besoin que d’un local pour formuler dans des bidons et faire des grosses factures. Alex ne comprend pas grand chose, mais ça, oui! Et il sait que c’est hors contrat et pour cause, au moment du contrat, on ne disposait pas de ce produit dérivé.

  • vous nous expliquerez tout ça demain, Monsieur Le Roy, je vous remercie et vous souhaite une bonne fin de journée.

Rentré à mon hôtel, je branche la cam. Les petits sont en train de dîner. Je me souviens que j’ai pleuré. Mais ils ne l’ont pas vu. Je me souviens aussi d’avoir eu envie de lui dire que je l’aime mais Julie ne m’en a pas laissé l’opportunité. Je me demande encore comment elle peut survivre à tout ce que nous avons subi.

Il est encore tôt au Québec et je décide d’aller m’aérer. En fait, je vais rentrer dans le premier rade et me saouler la gueule. Demain la journée sera terrible. On va devoir parler de la guerre...


A SUIVRE!

Table des matières:

Introductionchapitre 1chapitre 2chapitre 3chapitre 4


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