14/18 Nous sommes de la boue qui marche #6

Guerre de 14/18 - Episode 6


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Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

épisodes précédents:
épisode 1 - épisode 2 - épisode 3 - épisode 4 - épisode 5

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Résignation et Répit


Lettre de Robert à ses soeurs - 2 juin 1915

Mes Chères petites soeurs

J'ai bien reçu aujourd'hui vos deux bonnes lettres dont je vous remercie bien affectueusement. C'est vrai que j'aimerais bien entendre Hélène au piano qui doit certainement avoir fait beaucoup de progrés.

L'attaque a été remise à une date quelque peu postérieure mais il se peut que ce soit demain, enfin, je vous en enverrai le compte mardi.

Pour le moment ces jolis voisins d'en face nous envoient des dragées de 280 en acier qui font des trous de trois mètres de profondeur sur six de diamètre. J'en ai ramassé quelques morceaux mais je ne veux pas les envoyer car vous frémiriez et il y a de quoi. Nous nous habituons à ces visites et les esquivons du mieux que l'on peut.

Ce qui nous ennuie beaucoup plus c'est que l'on ne peut pas se laver et que nous sommes rationnés en eau aussi sévèrement qu'en pain. Voilà douze jours que mon épiderme n'a pu faire connaissance avec H2 O et une barbe de poilu cache mal la crasse de ces jours derniers. Mais je me rappelle l'histoire du Vénérable St Benoit Labre de Diogène et autres bohèmes qui instituèrent la saleté en vertu!

Il fait beau, le feuillage des chênes et des hêtres tamise le soleil déjà mordant et nous sommes très heureux de vivre. Vous vous plaignez mais nous ne vous envions pas car nous sommes déjà à la campagne alors que vous êtes en cave à Paris, sans verdure.....

Eh eh, elle m'a presque fait peur celle-là, car ce n'est d'habitude pas l'heure à laquelle elles radinent. Enfin, ce n'est qu'une marmite de 155! continuons.

Faites votre possible pour me faire parvenir de la lecture, des magazines spirituels autant que possible, vous serez des anges. Joignez-y quelques confitures d'orange par exemple et de l'alcool de menthe. Ecrivez-moi de temps en temps, rien ne me fait tant plaisir.

Je vous embrasse bien affectueusement. Votre frère qui vous aime bien tendrement.

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Lettre de la mère de Robert à son fils - 26 juin 1915

Mon cher Robert,

Je suis bien heureuse de te savoir en bonne santé malgré la lutte qui continue si dure. Tu nous fais des récits terribles et je me demande comment il ne t'est encore rien arrivé de trop fâcheux.

Chaque coup de sonnette m'alarme car je m'attends toujours à une dépêche, à quelque inquiétude nouvelle! On ne s'habitue pas à savoir son mari et son fils en danger comme vous l'êtes surtout depuis un an.

Quelle race redoutable que ces Boches, qu'ils étaient puissants pour résister ainsi aux Français, aux Russes, à tous! Mais nos Français se couvrent de gloire, les pays qui nous méconnaissaient le plus, comme l'Amérique, rendent hommage à nos qualités de race qui donnent des exemples plus beaux que ceux de l'antiquité.Dans cette guerre monstrueuse il faut un courage surhumain et en plus la patience, la ténacité.

Pendant ce temps nos politiciens sont toujours au-dessous de tout et nuisent consciencieusement au pays. J'ai en horreur cette démocratie, c'est-à-dire le culte de la basse médiocrité et le couronnement des plus sales manoeuvres pendant que nos héroïques soldats se font tuer.

Je me demande si on pourra bazarder tout ce régime qui a ruiné la France, si nous n'aurons pas des dissensions intestines après la guerre et je ne serai pas seule à le craindre. Je rêve d'une autre République!

As-tu reçu la vieille pipe de Lyon que tu as dû reconnaître, la blague neuve, une "Lecture Pour Tous" et du chocolat?

Ton frère Pierre n'a que peu de tempérament et manque totalement d'énergie. J'aurais cru que l'idée de la guerre l'aurait mûri davantage. Il n'a pas de l'imagination comme tu en avais mais il est extrêmement fermé. Il est impossible de savoir à quoi il pense, en tout cas il n'a pas assez pensé au travail. Il est doux et affectueux mais cela ne suffit pas.

Je t'embrasse tendrement mon petit. Ta mère.

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Lettre de Robert à sa soeur Renée - 10 Juillet 1915

Merci pour tes bonnes lettres ainsi que celles d'Hélène que je reçois à l'instant car nous avons du courrier de cinq jours.

Ah je t'assure que cela nous a fait plaisir de voir encore tout le monde nous parler, nous questionner, s'intéresser à nous et puis on s'est rincé l'oeil de jolies toilettes et de frais minois. C'est étonnant comme il y a de jolies femmes en France surtout du côté de Paris!

A St Germain, à Versailles, à Juvisy, notre train marchait lentement et des dames de la Croix Rouge nous bourrèrent de tartines, de café et de cigarettes. En traversant Héricourt avec nos uniformes tout dépareillés, sales, barbe longue, avec notre unique canon, les chevaux maigres, ce fut une ovation. Comme nous étions les premiers des soixante-cinq poilus qui transportaient la division, beaucoup nous accompagnèrent jusqu'à Byans à deux kilomètres de là où nous sommes.

Je crois être à Malbuisson; de la belle eau partout, des cerises noires à foison, des prés et encore des prés, de cette belle herbe pleine de senteurs qu'adorent les chevaux, la paix des champs. Je ne me lasse pas de l'aimer et de la contempler.

Nous irons nous battre en Alsace mais nous sommes dans un demi-repos en cas que les Boches tentent de passer en Suisse. N'essayez pas de me joindre car c'est trop loin.

Je t'embrasse ainsi qu'Hélène bien tendrement.

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