Chapitre 8 • mars 2006
Alex est aussi fatigué que moi. Déjà 5 jours que je raconte ma vie, que je réponds à des questions idiotes, que je démontre que tout cela n’est qu’un mauvais procès. La veille on a passé la journée à éplucher la comptabilité de ma société. Leur avocat est une quiche en compta. Ce n’est pas mon cas. J’explique tout. Alors bien sûr, au début, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une stratégie pour me faire dire une connerie. Pas du tout. Il ne connait même pas le vocabulaire de base en comptabilité. C’est un peu choquant à son niveau mais bon... Je justifie tout. Par moments, j’ai l’impression de lui donner un cours magistral.
Nous en sommes donc au 5ème jour. Et le samedi sera une journée comme les autres, c’est à dire assis, docile et à répondre. Dehors c’est l’été indien et mon avocat m’a indiqué qu’il me promènerait dimanche. Après 5 jours dans ce bocal, je suis ravi. Cette fin de journée est longue et mon inquisiteur passe de plus en plus de temps à tourner des pages de questions qu’il ne veut plus me poser quand soudain il nous dit:
- Confrère, Mr Le Roy, il est probable que nous terminerons demain soir.
Ni mon avocat ni moi n’avons pas eu le temps de percuter sur notre probable libération qu’Alex bondit de son siège et hurle sur son baveux:
- Je vous paye pour lui poser des questions! C’est moi le Client! Vous lui posez des questions!
L’ambiance est devenue en un instant surréaliste. La stagiaire s’est littéralement liquéfiée et alors qu’Alex, telle une furie, rouge sang continue d’insulter son avocat, ce dernier se reprend et demande une interruption de séance.
Du bocal, nous entendons les vociférations d’Alex dans le couloir. Mon avocat prend la mesure des choses et réalise que le ressort aujourd’hui n’est plus la société mais une guerre entre deux hommes. Le plus vieux voulant tuer le jeune qui lui aura tenu tête. Au départ, c’était une histoire de fric. Aujourd’hui, c’est devenu une affaire d’égo.
Un quart d’heure plus tard, nos adversaires reviennent dans l’arène. Leur avocat reste imperturbable comme si de rien n’était. Il me sourit même. Et se remet à chercher une question. Alex s’est calmé mais son oeil noir en dit long. Tout est dans le mental. Comme en mars 2006.
Mars 2006 justement. Ce mois crucial qui va précéder la guerre. Kojak a demandé à entendre tous les salariés et ça tombe bien car au laboratoire c’est devenu n’importe quoi. Les horaires des chimistes sont folkloriques et encore quand ils viennent. Je compte sur lui pour remettre de l’ordre et m’affaire à préparer ma campagne de production prévue en Pologne. Les interventions chez CPCU se sont enchaînées. Les ventes deviennent régulières. Il est temps de s’organiser et de muscler la production d’autant que le chantier de Bruxelles est confirmé. L’argent coule à flot et ce n’est qu’un début.
Les chimistes sont contre cette production en Pologne. Personne ne sait vraiment pourquoi mais comme ils refusent d’y aller, c’est moi qui m’y colle. Je n’ai déjà plus besoin d’eux à cette époque pour cet aspect des choses. Dans leur coin, ils bossent sur le programme haute température pour que nos produits résistent encore mieux, le tout sous financement de l’ANVAR. C’est un produit innovant donc j’ai monté le dossier. Fournir tous les documents, montré pattes blanches. La première subvention de 200000 euros ne devrait plus tarder d’ailleurs… Tout comme le classement Jeune Entreprise Innovante décernée par les Impôts et nous offrant un crédit de 110,000 euros.
A la veille de mon départ, Kojak me rappelle. Il souhaite une rencontre avec moi, Denis et Alex au Sofitel de Roissy pour régler le problème canadien. Cela m’arrange bien car ce con d’Alex m’inonde de mails pour revendre sa licence à d’autres canadiens. Totalement hors contrat et malgré mon désaccord permanent, il continue à discuter avec ses clients et me relance chaque fois. C’est usant. Celui-là aussi, il est temps de le mettre au pas et c’est ce que j’attends de Kojak.
La circulation est dense en région parisienne et c’est avec un bon quart d’heure de retard que je pénètre dans le hall magistral du Sofitel. J’aperçois Alex et Mathieu au bar, tout sourire. Et soudain, je me fige. Denis et Kojak sont près des ascenseurs et Kojak a empoigné Denis par le col de chemise, la main levée... Je crois rêver. Mes associés qui se battent! Manquait plus que ça.
Je m’avance vers eux. Kojak lâche Denis. Il me fusille du regard et me balance :
- j’en ai marre Vincent de ton comportement. Le minimum avec Alex, c’est d’avoir de la décence. Quand un mec te met un million sur la table, le minimum, c’est de dire merci et de l’écouter. Je n’en peux plus de tes méthodes. C’est comme avec tes chimistes. Ce ne sont pas des chiens tout de même.
Denis est également en colère. Lui si calme d’ordinaire. Je n’ai pas le temps de répondre qu’il enchaîne :
- Je ne peux pas être d’accord. Alex ne respecte pas le contrat, million ou pas. Les chimistes ne travaillent plus et le seul qui bosse et tient la boutique à flot, c’est Vincent et...
Kojak ne le laisse pas finir:
- Ta gueule Denis où je t’en colle une... Je vais récupérer vos conneries qui n’ont que trop duré et toi, tu vas aller en Pologne. T’as intérêt à ce que cela se passe bien. Tu m’as demandé de diriger le groupe, alors c’est un ordre.
Tout est dit. La messe avec. Ce que je comprends à cet instant, c’est que de deux fronts, nous en avons maintenant un troisième... Alex, les chimistes et maintenant Kojak. Je comprends surtout qu’une entreprise de démolition s’est mise en route. Mais à ce moment là, je pense qu’il ne s’agit que d’une guerre psychologique : m’user physiquement et psychologiquement pour obtenir plus. D’ici quelques jours, que dis-je, quelques heures, je vais vraiment comprendre que la guerre a commencé. Sans nous malheureusement.Denis m’accompagne jusqu’au terminal où je dois prendre mon avion pour la Pologne. Il est sonné. De mon côté, je mesure que je ne maîtrise plus rien. Je me dirige vers l’embarquement et il me dit:
- écoute, on a CPCU dans la poche, les technologies sont top, file en Pologne fabriquer. Tout le reste va s’aplanir. Il n’y a que le travail qui paye. Bon courage et tiens moi informé!
La campagne de production en Pologne est programmée sur 4 jours. Je n’ai qu’à mettre une machine en route et former mon partenaire sur place à fabriquer les produits. Pas très compliqué en soit. En surface...
A SUIVRE!
Table des matières:
Introduction • chapitre 1 • chapitre 2 • chapitre 3 • chapitre 4 • chapitre 5 • chapitre 6 • chapitre 7