Guerre de 14/18 - Episode 9
Apprentissage de la T.S.F.
Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.
Ma chère Renée,
Ici un vent à décorner tous les boeufs du Charollais et une pluie diluvienne, résultat, boue innommable!
Enfin je puis t'assurer que les troupes sont fraîches par ici. Nous nous chauffons dans nos cagnas c'est ce que nous avons de mieux à faire. Mais c'est triste, oui, de plus en plus et je ne le cache pas, je désire la paix, le retour dans les grandes villes, la bonne vie où l'on n'a qu'un bouton à lever pour avoir de la lumière et qu'un robinet à tourner pour que la chaleur se répande. Oh oui, c'est là un désir tous les jours plus grand.
Si les journaux blaguent, je ne te cache pas de dire qu'ici, tous en ont assez. Nous ne sommes pas faits pour nous battre, c'est inadmissible qu'une guerre pareille dure si longtemps; et puis je rabâcherai que c'est une injustice que ce soit toujours et toujours les mêmes qui soient depuis seize mois au front!
Enfin Gallieni est un peu là!
Je n'ai rien de bien neuf à te raconter. Je continue à faire mon train-train tranquillement. Ma nomination de brigadier ne va pas tarder, c'est une question de quelques jours. Cela me fera quelques petites corvées de moins et ce sera déjà quelque chose.
Je suis bien content de savoir que Papa va mieux et qu'il pourra passer un bon congé en famille. Si je pouvais avoir une permission en même temps que lui ce serait trop beau.
Enfin, tout va bien, je t'embrasse ainsi que tous. Bien tendrement, ton frère qui t'aime.
Ma chère Renée,
Je te remercie beaucoup de tes bonnes lettres elles me causent un très grand plaisir. Je relis régulièrement vos envois et je ne sais te dire comme ils me causent du plaisir.
Nous nous battons toujours inlassablement. Il y a des moments où l'on conçoit mal ce besoin constant de s'entre déchirer, mais nous faisons cela gaiement.
Ne crois pas que nous nous négligeons pour cela. Nous astiquons ferme nos chevaux et nous.
Ah si tu avais entendu cet obus qui vient de tomber à trente mètres! Moi qui t'écrivais tranquillement sans songer même aux obus, tu vois comme la réalité est vite remise en place.
Nous avons tous chaud dans notre habitation et la nourriture est passable.
Adieu, je t'embrasse bien tendrement, ton frère qui t'aime.
Ma chère Renée,
Je reçois ta bonne lettre accompagnée de fruits confits. Les deux m'ont fait grand plaisir.
J'ai commencé à nouveau les cours de T.S.F., ils m'intéressent beaucoup.
Comme je sais que nous ne resterons plus très longtemps ici je profite de mon repos pour me tenir aussi proprement que possible malgré l'étonnement des ruraux à voir un soldat se laver les dents.
Nous sommes logés chez une vieille épicière qui est horriblement avare et m'a fait payer cinq sous un pichet d'eau chaude. J'ai, le soir, quelques livres à lire et cela occupe un peu mieux que de déambuler à travers les rues du bourg.
Les habitants, quoique pas Champenois, ne sont plus guère affables. J'ai failli me cramponner avec un greffier qui tenait des propos peu élogieux sur les Poilus.
C'est ainsi, on se fait à la guerre et des gens se figurent qu'il y a des gens faits pour combattre comme d'autres sont créés pour regarder faire. Mais ceci me laisse froid.
Ne te fais donc pas de mauvais sang, je t'écrirai comme autrefois ainsi qu'à tous. Il y a des jours où l'on ne peut pas, tu le sais bien mais je ferai mon possible.
Je t'embrasse bien tendrement ainsi que Maman, Papa et tous. Ton frère qui t'aime.
Ma chère Renée,
J'ai reçu ta lettre du 21 Décembre, courte mais gentille.
J'ai énormément écrit pour le Nouvel An à vous autres et je me permets de te souhaiter à toi, Hélène et Lucy particulièrement, mes meilleurs voeux pour 1916 qui, j'espère, arriveront à temps.
J'ai là une phrase de Gallieni dans un des derniers discours qu'il a prononcé à la Chambre et qui me semble une profonde innovation, la voici:
"Il faut agir au nom du Bon Sens malgré le Règlement et il ne faut pas invoquer le Règlement ensuite le Bon Sens".
Je crois qu'on aura mis un siècle à comprendre cela ou tout au moins depuis que le Règlement existe. Le Bon Sens enfin est considéré comme préférable au Règlement. C'est parfait, c'est simple, il fallait y songer! Mais ce qu'un grand Chef a dit ne sera pas appliqué, quelque bon vouloir qu'il aura, parce qu'il y a une telle routine, tellement, de quinze as de service abrutis par leur règlement qu'ils ne sortiront jamais de là: exécuter sans chercher à comprendre.
Au lendemain de 70, l'armée férue de caporalisme prussien a élaboré cette formule. Elle reste en vigueur aujourd'hui et quoique je crie bien haut "Vive Gallieni", notre ministre à raison. Je souris à la pensée qu'entre la coupe et les lèvres....
Je poursuis ma T.S.F. avec progrès et je m'y intéresse beaucoup. Si tu trouves un alphabet Morse je t'enverrai une lettre en points, traits.
Nous sommes toujours dans le même patelin. Toujours vilain temps. Nous n'avons plus notre chambre, la bonne femme nous a expulsé parce qu'elle recevait sa bru qui était dans un état intéressant. Comme nous sommes naturellement galants et patriotes nous ne voulons apporter cruelle entrave à la formation de la future classe 1936.
Je te quitte et t'embrasse bien tendrement ainsi que Papa, Maman et les petites soeurs.